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Tribune libre sur le CIMM: centre d’intérêts moraux et matériels…

LE CIMM ou l’éternel retour au pays natal

 

« Au bout du petit matin, ce plus essentiel pays restitué à ma gourmandise, non de diffuse tendresse, mais la tourmentée concentration sensuelle du gras téton des mornes avec l’accidentel palmier comme son germe durci, la jouissance saccadée des torrents et depuis Trinité jusqu’à Grand-Rivière, la grand’lèche hystérique de la mer. »


Aimé Césaire, extrait du cahier d’un retour au pays natal

Le CIMM
Centre des intérêts matériels et moraux

Le CIMM est au centre de débats depuis plusieurs années, notamment pour les demandes de mutations des fonctionnaires dans les DOM (Départements d’outre-mer).
La règlementation a évolué en raison d’un arrêt du conseil d’état qui a estimé discriminatoire la notion historique d’originaire, question très sensible à La Réunion.
Le « centre des intérêts matériels et moraux » s’apprécie en fonction d’un faisceau d’indices concordants, parmi lesquels figurent le lieu de naissance, le lieu de résidence des parents ou des ascendants proches, la propriété ou la location de biens immobiliers dans les départements d’Outre-mer considérés, le lieu d’inscription de l’agent sur les listes électorales, les affectations professionnelles qui ont précédé son affectation actuelle, les voyages effectués par l’agent dans le lieu concerné, Etc…

Faut-il s’en féliciter ?
Sans vouloir polémiquer sur les dérives possibles de la notion de CIMM et toutes les opportunités pour les académies ou administrations d’accorder ou non cette bonification selon leur propre analyse ou leur propre intérêt, il est essentiel de replacer cette notion dans son histoire et au-delà dans l’histoire coloniale de la France.

 

Favoriser l’expatriation des fonctionnaires de l’hexagone ou rendre attractive une forme d’exil


L’État français a souvent eu recours à des mesures incitatives pour favoriser l’expatriation de ses fonctionnaires originaires de l’hexagone (prime de chaleur, de vie chère, sur-rémunération, indexation, bonification de retraite, congé bonifié, indemnité d’éloignement, abattement fiscaux…)
Ces dispositifs qui existaient à l’origine pour la plupart uniquement pour les expatriés de l’hexagone ont été arrachés de haute lutte par les fonctionnaires originaires d’Outre-mer afin que tous les fonctionnaires puissent bénéficier de la même rémunération et des mêmes compensations.

 

Favoriser l’émigration vers l’hexagone


De façon concomitante, l’état français a créé le BUMIDOM (1963-1981)
Le BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer) fut créé par Michel Debré en 1963, en période de chômage liée à la crise de l’industrie sucrière aux Antilles, pour favoriser l’émigration des travailleurs des départements d’Outre-mer vers l’hexagone.
Ce système a fonctionné jusqu’en 1981.
Aimé Césaire aurait qualifié cette opération de « génocide par substitution ». L’expression a été souvent reprise pour montrer que Paris aurait sciemment envisagé de vider les anciennes colonies de ses forces vives pour y installer des travailleurs expatriés.
Le BUMIDOM a occasionné de manière directe la venue en France hexagonale, notamment en région parisienne, de 70000 personnes nées outre-mer auxquelles l’administration faisait miroiter une vie meilleure et qui n’obtinrent que des emplois médiocres. Ce chiffre ne comprend pas les personnes, bien plus nombreuses encore, que le BUMIDOM, par sa propagande, a indirectement encouragées à partir sans toutefois les prendre directement en charge.
À titre d’exemple, c’est le BUMIDOM qui a organisé la déportation dans des départements défavorisés, dont la Creuse, de 1630 enfants réunionnais.

 

Le retour au pays natal


Parallèlement aux dispositifs favorisant l’attractivité des territoires et des pays hors d’Europe, l’État souhaitait favoriser la nomination d’autochtones ou d’originaires dans tous ses Outre-mer.
Ce retour au pays est possible depuis de nombreuses années pour tous les originaires qui le souhaitent. Ils ont en effet la priorité de devenir résidents dans leur propre pays. Ce principe n’est donc qu’une conséquence logique permettant de corriger ou tout au moins de rééquilibrer ce que Césaire a théorisé sous l’idée « d’un génocide par substitution ».

Le 5 avril 2016 le CIMM devient une priorité légale dans la fonction publique
Les fonctionnaires ultra-marins auront la possibilité d’invoquer les centres d’intérêts matériels et moraux (CIMM) qui seront désormais inscrits dans la loi pour obtenir une mutation. L’objectif est de faciliter la mutation en Outre-mer des fonctionnaires ayant un lien avec ces territoires. Le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a été définitivement adopté à l’Assemblée nationale à l’unanimité des présents.
Cette avancée est essentielle et les textes d’application devront considérer désormais comme priorité légale le souhait des natifs, originaires ou fonctionnaires dont le CIMM se trouve Outre-Mer. Il est souhaitable que chaque service déconcentré de l’état se donne les moyens d’appliquer ce dispositif légal.

 

Une nécessaire harmonisation


Cependant, puisque chaque académie ou chaque administration peut appliquer les textes en vigueur avec une certaine marge, il est indispensable d’avoir une position syndicale partagée le plus largement possible par les syndicats de la FSU concernés afin d’adopter un mandat qui prenne en compte à la fois l’histoire, mais aussi les dispositions légales en vigueur.
Il nous semble que nous ne pouvons pas analyser la notion de CIMM sans la replacer dans son histoire : la notion de CIMM découle de la notion d’originaire.
Ce qui existait avant l’arrêt du conseil d’État et l’avis de la HALDE doit être inclus pleinement dans la notion de CIMM. Nous proposons donc que l’aspect familial soit au cœur du dispositif.
Les fonctionnaires natifs ou originaires (dans l’acception la plus large) doivent bénéficier du CIMM ainsi que leur conjoint (fonctionnaire) et leurs enfants (fonctionnaires). Ainsi, deux fonctionnaires qui seraient en mutation simultanée bénéficieraient conjointement du CIMM.

 

Ce pays mien


« Partir. Mon cœur bruissait de générosités emphatiques. Partir… j’arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J’ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies ».
Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : « Embrassez-moi sans crainte… Et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerais ».
Aimé Césaire, Extrait du Cahier d’un retour au pays natal

 


Guy-Luc Belrose